Offensive idéologique et épuratrice de Trump, Musk et leur gang

Contre l'index, le majeur

Purger la justice, la haute administration, les bibliothèques, le langage, les musées, les idées : Aux Etats-Unis, aujourd'hui, on assiste à quelque chose qui tient d'une modernisation des vieilles offensives culturelles idéologiques de l'Allemagne des années trente ou de la Chine des années soixante. L'actrice et chanteuse Ann Harada en convient : "ça ressemble beaucoup au Berlin des années 1930" mais assure que "personne n'a envie de sentir ça". Personne vraiment ? Trump n'a pas pris le pouvoir par les armes mais par les urnes. Il n'a pas nommé les membres de deux chambres du Congrès pour y être majoritaires, ils y ont été élus. Il y a certes des forces de résistance possible, mais il va leur falloir se mobiliser, et être soutenues, à l'intérieur des USA mais aussi de l'extérieur. Trump veut mettre à l'index la culture vivante ? Soutenons-là, pratiquons-là. Les trumpistes font liste, index, des livres à ne pas lire, des mots à ne pas utiliser ? Lisons-les, prononçons-les. Ayons du doigté : contre l'index, on peut dresser le majeur. Celui du doigt d'honneur. Surtout s'il est interdit. Et lisons, relisons, méditons le "discours de la servitude volontaire" de La Boétie.

 

Le bas ventre est fécond partout, qui nous chie par petites pétoles de petites mesures d'épuration culturelle

Aux Etats-Unis, aujourd'hui, on purge les bibliothèques publiques, y compris celles des écoles, de plus de 4000 titres de livres. Et ça a commencé avant le retour d'un analphabète au pouvoir : 29 Etats s'étaient déjà lancés dans l'épuration culturelle. Le "Journal d'Anne Frank" ? Purgé, parce qu'il rappelle à quoi mène une épuration culturelle : à une épuration "raciale". "La Servante écarlate" de Margaret Atwood ? Purgée parce qu'elle rappelle à quoi mènent la misogynie et le masculinisme, qu'ils soient trumpistes ou talibanistes. "Fahrenheit 451 de Ray Bradbury ? Purgé parce qu'il décrit le stade ultime de la purge des livres à l'index : le bûcher. "1984" de George Orwell ? Purgé, parce que sous Trump, on y est, en 1984. "Dune" de Frank Herbert ? Purgé, parce que les trumpistes n'aiment pas les Fremen. Ils n'aiment pas non plus les livres, les bibliothécaires et les libraires, menacés et injuriés sur les réseaux sociaux, traînés devant les tribunaux, licenciés quand ils ne retirent pas de leurs rayons les livres indexés.

Pourquoi empêcherait-on de lire un livre si le lire n'était dangereux pour les apprentis inquisiteurs ? Il fut un temps en France où être porteur d'une Bible en français vous conduisait au bûcher... Dans les livres mis à l'index, comme dans tous les livres, il y a des mots. Et il y a aussi des mots dans les textes officiels, dans les communications officielles, sur les sites internet des administrations et des institutions publiques. Alors, il faut aussi purger le vocabulaire. Le réduire à ceux de Trump et de Musk. Et une liste, provisoire et incomplète,  de 200 de ces mots désormais interdits de publication, effacés ou à surveiller attentivement en attente de les interdire, a été établie par le "New York Times" à partir des memos, directives et documents officiels et officieux. Prenez cette liste, et faites-en ce qu'il convient d'en faire : non pas la brûler, mais l'utiliser a contrario. Utilisez les mots et les expressions qu'elle contient, car les mots ne s'usent que si on n'en usent pas (comme les livres si on ne les lit pas, in pectore ou à haute voix) : "assigné homme à la naissance", "identité de genre", "personne enceinte", "féminin", "femme", "sexe", victime" "activisme", "handicap", "politique""justice sociale", "LGBT", "accessibilité", "diversité", "minorités", "racisme", "socioculturel". C'est l'effacement des mots gênants pour produire la  novlangue évoquée par Orwell dans "1984" -on comprend bien dès lors pourquoi ce livre est de ceux dont les partisans de Big Brother Donald veulent purger les bibliothèques. Et que les mots proscrits le sont : parce que derrière les mots, il y a des idées, des concepts, des réalités. Et c'est dangereux, les idées et les concepts : ça désigne des réalités (utiliser le mot"racisme", ça rappelle que le racisme existe). Les idées et les concepts, ça fait penser. Et c'est dangereux de penser, faut juste répéter ce qu'on vous dit de répéter  : qu'il n'y a de Trump que Trump et que Musk est son prophète.

 

L'offensive culturelle trumpiste, qui s'ajoute à son offensive xénophobe, masculiniste, à ses attaques contre les droits humains et les organismes voués à les défendre, et à la justice même, à qui la Procureure générale, trumpiste, veut imposer de "défendre vigoureusement les politiques et les actions présidentielles" plutôt que les lois et la constitution (Musk, lui, demande carrément de "virer" les juges qui s'opposeraient à des décisions de la présidence ou du gouvernement), cette offensive ne s'arrête pas aux livres et aux mots. Pour user d'un qualificatif qui figure dans la liste des mots proscrits ou à proscrire, elle est "multiculturelle". Elle s'attaque à l'enseignement public (qu'elle rêve d'abolir), aux universités (par exemple à l'Université Columbia de New-York, dont l'administration Trump a exigé la "mise sous tutelle" et à qui elle a supprimé une subvention de 400 millions de dollars, ou à l'Université John Hopkins, particulipèrement prestigieuse en matière de recherche médicale, aux musées, aux institutions culturelles, aux media que les trumpistes ne contrôlent pas ou n'ont pas contraints à une soumission volontaire. C'est ainsi que Trump s'est autoproclamé président du Conseil d'administration du Centre John F. Kennedy pour les arts du spectacle, où il n'avait jamais mis les pieds, l'a entièrement renouvelé et a proclamé qu'il allait s'assurer que la programmation de cette institution de référence pour ses choix artistiques consensuels soit "bonne, qu'elle ne soit pas woke". Toutes les institutions culturelles qui ont intégré dans leurs statuts l'obligation de porter attention aux populations minoritaires ou discriminées sont dans la ligne de mire des épurateurs trumpistes. Trump a aussi créé un Bureau de la Foi pour "éradiquer les discriminations et les préjugés antichrétiens". Il a pas osé recréer la Sainte Inquisition, mais on sent bien que la tentation était présente. Et à la tête de cette nouvelle Congrégation de la doctrine de la Foi, il a placé une télévangéliste frapadingue, Paula White. Ce choix avait une excuse : Il ne pouvait plus y placer Torquemada.  On s'attaque aussi à la science et à la démarche scientifique elle-même, en tant qu'elle est pragmatique et empirique : coupes budgétaires, embauches bloquées... Enfin, on s'attaque aussi à la mémoire, et donc à l'histoire : Le ministère de la Défense, la NASA et d’autres agences fédérales voient leurs archives disparaître. Au moins 26 000 pièces sont touchée et rendues inaccessibles.

 

A tout cela, il convient donc de résister. En soutenant tout ce qu'abhorrent les épurateurs. En pratiquant tout ce qu'ils veulent interdire. En lisant tout ce qu'ils veulent mettre à l'index (et qu'on trouvera sûrement dans nombre de stands du Salon du Livre de Genève, qui s'ouvre à Palexpo mercredi).  En parlant comme ils ne supportent pas de nous entendre parler ("Fuck Trump !"...). En parlant des livres qu'on a lu (dans "Fahrenheit 451, les résistants les apprennent par coeur et les récitent à ceux qui ne peuvent plus les lire). Et en nous préparant à accueillir les premiers réfugiés culturels et scientifiques américains... comme les USA ont accueillis après 1933 nombre de réfugiés culturels et scientifiques allemands. A Marseille, d'où partirent pour les USA en 1940, 1941, 1942 des artistes et auteurs menacés par les nazis et les collabos français, l'Université a lancé un programme "Safe Place for Science" pour accueillir des scientifiques américains empêchés aux USA de poursuivre leurs recherches dans des domaines (le climat, par exemple) réprouvés par l'administration Trump...

 

Et qu'on ne tente pas de se rassurer en se disant qu'après tout, les USA, c'est loin, et qu'interdire des livres dans un pays peuplé de grenouilles de bénitier incultes, ça ne risque pas de se propager dans nos pays peuplés de gens instruits, rationnels, ouverts :dans nos parlements cantonaux, municipaux, fédéraux, traînent des propositions d'interdire le langage "inclusif", non genré, comme au XVIIe siècle l'Académie française avait déjà expurgé de la langue officielle les mots suggérant qu'une femme pût exercer des fonctions que l'on voulait réserver aux hommes...

Le bas ventre est fécond partout, qui chie par petites pétoles de petites mesures d'épuration culturelle...

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Thème Magazine © -  Hébergé par Overblog